mercredi 17 septembre 2014

Sensation musique


Milky Chance, Down by the river (FlicFlac Edit)

Quand je suis tombée sur ce "remix électro" (pardon, je n'y connais rien...), moi qui n'écoute plus beaucoup de musique - enfin, elle ne m'accompagne plus de la même manière que plus jeune, quand elle me faisait vivre -, eh bien j'ai un peu retrouvé ce genre de sensation et j'ai eu envie d'embrasser tous les gens que je connais / que j'ai connus de près ou de loin, et je me suis dit que s'il y a une chose qui compte, a minima, c'est de ne pas tuer l'espoir.

Et puis, ça m'a permis de découvrir ce chouette artiste, allemand je crois.
L'original. Très beau clip.

On me souffle dans l'oreillette qu'il passe sur NRJ 12. Soit.

jeudi 10 avril 2014

Le monde merveilleux

"Là, coquillages, algues, madrépores déployaient leurs splendeurs avec une magnificence orientale. Le premier coup d'oeil était un ravissement ; mais le passant n'avait rien vu, qui s'en tenait à ce premier regard : pour peu que je demeurasse immobile, penché comme Narcisse au-dessus de la surface des eaux, j'admirais lentement ressortir de mille trous, de mille anfractuosités du roc, tout ce que mon approche avait fait fuir. Tout se mettait à respirer, à palpiter ; le roc même semblait prendre vie et ce qu'on croyait inerte commençait timidement à se mouvoir ; des êtres translucides, bizarres, aux allures fantasques, surgissaient d'entre le lacis des algues ; l'eau se peuplait ; le sable clair qui tapissait le fond, par places, s'agitait, et, tout au bout de tubes ternes, qu'on eût pris pour de vieilles tiges de jonc, on voyait une frêle corolle, craintive encore un peu, par petits soubresauts s'épanouir.

Tandis que Marie lisait ou tricotait non loin, je restais ainsi, durant des heures, sans souci du soleil, contemplant inlassablement le lent travail rotatoire d'un oursin pour se creuser un alvéole, les changements de couleur d'une pieuvre, les tâtonnements ambulatoires d'une actinie, et des chasses, des poursuites, des embuscades, un tas de drames mystérieux qui me faisaient battre le coeur. Je me relevais d'ordinaire de ces stupeurs, ivre et avec un violent mal de tête."

Et précédemment dans le livre, à propos de sa passion pour l'entomologie :

"Je doute si jamais livres, musiques ou tableaux me ménagèrent plus tard autant de joies, ni d'aussi vives, que ne faisaient dès ces premiers temps les jeux de la matière vivante."

In Si le grain ne meurt, André Gide, 1926

mardi 1 avril 2014

Comme une pierre sur le sable

"Mais, venant d'une direction que je ne soupçonne pas encore, voici que s'approche le miracle de la libération. Cela peut se produire sur le rivage, et la même éternité qui, tout à l'heure, suscitait mon effroi est maintenant le témoin de mon accession à la liberté. En quoi consiste donc ce miracle ? Tout simplement dans la découverte soudaine que personne, aucune puissance, aucun être humain, n'a le droit d'énoncer envers moi des exigences telles que mon désir de vivre vienne à s'étioler. Car si ce désir n'existe pas, qu'est-ce qui peut alors exister ?

(...)

(...) Je peux reconnaître que la mer et le vent ne manqueront pas de me survivre et que l'éternité se soucie peu de moi. Mais qui me demande de me soucier de l'éternité ? Ma vie n'est courte que si je la place sur le billot du temps. Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j'aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n'est pas l'étalon qui convient à la vie. Au fond, le temps est un instrument de mesure sans valeur car il n'atteint que les ouvrages avancés de ma vie.

Mais tout ce qui m'arrive d'important et tout ce qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l'on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en dehors du temps. Car peu importe que je rencontre la beauté l'espace d'une seconde ou l'espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie.

Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l'on exige de moi. Ma vie n'est pas quelque chose que l'on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n'est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n'accomplit pas de performance : ce qui est parfait oeuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait - mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l'homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L'important est qu'il fasse ce qu'il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable."

In Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Stig Dagerman, 1952, traduit du suédois par Philippe Bouquet


08.04.14. : Comme un écho venu du froid : Residency at L/R

dimanche 23 mars 2014

Horizon en musique


Africa Crisis - Ijahman Levi - Over Europe Live - 1988

Ecouter à fond, entendre tout l'espoir, tout le désir portés dans cette musique.

vendredi 14 mars 2014

Il Transalpino

"Ma mère m'envoie fidèlement des journaux où je vois que des Italiens fournissent ample matière aux faits divers de notre ville, tantôt couverts de fleurs au lendemain des catastrophes minières où ils ont péri, tantôt décorés comme sauveteurs héroïques, tantôt couronnés dans les concours de chant ou d'accordéon, tantôt réputés pour la sauvagerie de leurs moeurs dans les affaires de jeu, de ménage ou d'argent (affaires que les Siciliens arrangent de préférence au couteau, les Polonais à la hache, les Tchèques en jetant les gens par les fenêtres). Aussi n'est-il pas de friponnerie dont mes compatriotes ne recherchent instinctivement l'auteur dans les cantines et baraquements pour étrangers, par un préjugé propre à favoriser merveilleusement l'impunité des délinquants indigènes. Et je me plais à imaginer, languissant en ce moment sur la paille des cachots de ma ville et remâchant des pensées analogues aux miennes, le Mario ou le Giuseppe dont je lis dans le journal qu'il est soupçonné d'avoir cambriolé l'appartement de la rentière, participé au tapage nocturne ou courtisé d'un peu près la gamine du voisin. "Le Transalpin nie énergiquement", ajoute le journal. C'est drôle : j'ai entendu l'autre jour deux gardiens qui parlaient de moi en m'appelant pareillement il Transalpino. J'ai éclaté de rire. On est toujours le Transalpin de quelqu'un. Cela m'a mené à de nouvelles réflexions sur l'irréalité de mon sort et la relativité de la condition humaine. Les hommes ne conçoivent de réel que les Alpes qui les séparent. "

In Tempo di Roma, Alexis Curvers, Ed. Robert Laffont 1957, Ed. Labor 1991

dimanche 2 mars 2014

Les primevères de Vaillagou

"Martin Vaillagou est né le 28 juillet 1875 dans le Quercy. Il épouse Eugénie en 1900 et vient vivre avec elle à Malakoff, près de Paris. Là, le couple fonde une entreprise de maçonnerie qui devient prospère. Deux enfants naissent : Maurice en 1904, Raymond en 1909. Mobilisé comme ses quatre frères, le soldat Vaillagou est tué avec seize autres hommes dans une embuscade au coeur d'un petit bois, dans la région de Mourmelon, le 25 août 1915. Un mois plus tard, deux de ses frères tombent au combat le même jour.

Voici pour Maurice,
Je vais exaucer les voeux à Maurice dans la mesure du possible. D'abord pour les lignes de combat, je vais tracer un plan au dos de cette feuille que tu pourras suivre et expliquer à maman à moins que maman comprenne mieux que Maurice. Pour les balles allemandes, je pourrai le faire. J'en apporterai quand je reviendrai. Pour le casque de Prussien cela n'est pas sûr. Ce n'est pas maintenant le moment d'aller les décoiffer. Il fait trop froid, ils pourraient attraper la grippe. Et puis, mon pauvre Maurice, il faut réfléchir que les Prussiens sont comme nous. Il y a des papas qui sont à la guerre et des petits enfants comme toi qui sont avec leur maman. Vois-tu qu'un garçon prussien écrive à son père la même chose que toi et qu'il lui demande un képi de Français, et si ce papa prussien rapportait un képi de Français à son petit garçon et que ce képi fût celui de ton papa ? Qu'est-ce que tu en penses ? Tu conserveras ma lettre et tu la liras plus tard quand tu seras grand. Tu comprendras mieux. A la place du casque de Prussien, je vais t'envoyer à toi, à Raymond, maman peut les recevoir aussi, des petites fleurs de primevères que les petits enfants (garçons et filles) du pays où je suis cueillaient autrefois et qui faisaient leur joie, et que moi, le grand enfant, j'ai cueilli cette année dans leur jardin pour te les envoyer. (Je ne les vole pas, elles se perdraient tout de même.) Je vous les envoie pour que vous pensiez un peu à leur malheur de n'être plus dans leur maison. Je vois, je mets même mes ustensiles de cuisine sur un petit dodo des ces petits enfants. Il y en a là deux même que je ne peux voir sans penser à vous et les larmes aux yeux me disent que vous êtes tout de même heureux par rapport aux autres.

Suippe (Marne), le 26 août 1914
VAILLAGOU Martin à ses deux fils Maurice et Raymond
Mes chers petits, 
Du champ de dévastation où nous sommes je vous envoie ce bout de papier avec quelques lignes que vous ne pouvez encore comprendre. Lorsque je serais revenu je vous en expliquerai la signification. Mais si le hasard voulait que nous ne puissions les voir ensemble vous conserverez ce bout de papier comme une précieuse relique ; vous obéirez et vous soulagerez de tous vos efforts votre maman pour qu'elle puisse vous élever et vous instruire jusqu'à ce vous puissiez vous instruire vous-mêmes pour comprendre ce que j'écris sur ce bout de papier. Vous travaillerez toujours à faire l'impossible pour maintenir la paix et éviter à tout prix cette horrible chose qu'est la guerre. Ah ! la guerre quelle horreur ! villages incendiés animaux périssant dans les flammes. Etres humains déchiquetés par la mitraille : tout cela est horrible. Jusqu'à présent les hommes n'ont appris qu'à détruire ce qu'ils avaient créé et à se déchirer mutuellement. Travaillez, vous, mes enfants, avec acharnement à créer la prospérité et la fraternité de l'univers. Je compte sur vous et vous dis au revoir probablement sans tarder
Votre père qui du front de bataille vous embrasse avec effusion.

Martin VAILLAGOU, soldat au 131e territorial, 5e compagnie"

In Les Poilus - Lettres et témoignages des Français dans la Grande Guerre (1914-1918), Jean-Pierre Guéno, Librio n°1083, 2013, édition du centenaire, pp. 37-38